« Dans le cadre de la transition numérique, la demande en électricité a augmenté de manière considérable ces dernières années, ce qui, au vu du mix électrique actuel, entraîne également des émissions de gaz à effet de serre non-négligeables. Selon des études, l’écosystème numérique mondiale serait actuellement responsable de 2% à 4% des émissions globales. Dès lors, le renforcement de l’efficacité énergétique et la promotion des énergies renouvelables dans ce contexte représente une priorité essentielle au vu de l’importance croissante de ce secteur.
En France, trois lois visant à réduire l’empreinte carbone du numérique viennent d’entrer en vigueur le 1er janvier 2022. Ainsi, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) est dorénavant chargée de la collecte de l’empreinte environnementale de tous les acteurs de l’écosystème numérique en France, tels que les opérateurs télécoms, les centres de données, les prestataires de cloud, les fabricants de terminaux (comme par exemple des smartphones), etc.
En outre, l’Arcep a également été chargée de mettre en place un « observatoire des impacts environnementaux du numérique », dont l’objectif consiste à comparer les différents acteurs entre eux, identifier des pratiques vertueuses, encourager la soutenabilité numérique et informer les utilisateurs quant aux acteurs les plus soutenables respectivement les plus pollueurs.
Par ailleurs, l’Arcep sensibilise d’ores et déjà les utilisateurs à des comportements écoresponsables à adopter pour réduire l’impact climatique du numérique. Une campagne de sensibilisation a été lancée à cet effet le 11 janvier 2022.
Finalement, les opérateurs télécoms sont désormais obligés à informer leurs clients régulièrement sur la quantité de données consommées ainsi que l’équivalent en émissions de gaz à effet de serre.
Dans ce contexte j’aimerais poser les questions suivantes à Monsieur le Ministre de l’Énergie et à Monsieur le Ministre de l’Économie :
- Messieurs les Ministres sont-ils au courant de ce nouveau dispositif réglementaire français ?
- Combien d’entreprises font partie du secteur numérique au Luxembourg ? Comment la consommation d’électricité de ce secteur a-t-il évolué au fil des cinq dernières années ?
- Quelles sont les pistes que le Gouvernement entend poursuivre afin d’encourager davantage l’efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables auprès des entreprises du secteur numérique ?
- Une campagne de sensibilisation des utilisateurs similaire à celle de l’Arcep est-elle également prévue au Luxembourg ? »
Réponse
Comme exposé dans la feuille de route « Ons Wirtschaft vu muer » du ministère de l’Économie, la numérisation et la connectivité rendues possibles par les technologies numériques ont un potentiel considérable pour rendre les produits, les processus, notamment industriels, et les services plus durables et circulaires. Elles permettent de surveiller et de protéger l’environnement en découplant les émissions et la consommation de ressources des activités économiques, ou encore d’optimiser la manière dont est utilisée l’énergie. Il existe un certain nombre de projets industriels et logistiques dans ces domaines au Luxembourg, lesquels vont de la fabrication additive 3D numérique, économe en ressources, à l’utilisation de technologies spatiales innovantes pour surveiller l’environnement, en passant par la Luxembourg Circularity Dataset Initiative et le Product Circularity Data Sheet (www.pcds.lu).
Néanmoins, comme le met également en avant « Ons Wirtschaft vu muer », les impacts environnementaux directs et indirects liés à l’utilisation croissante du numérique sont parfois sous-estimés, notamment à cause d’une forme de quasi-invisibilité des appareils numériques et infrastructures associées qui consomment pourtant de l’énergie. L’accélération des investissements dans les technologies numériques a effectivement entraîné une augmentation de l’empreinte carbone des secteurs numérisés. D’après les analyses de The Shift Project dans leur rapport « Lean ICT : Towards Digital Sobriety », l’empreinte carbone directe du numérique au niveau global augmente de 9 % chaque année et l’intensité énergétique du secteur des TIC augmente de 4 % par an. La forte augmentation de l’utilisation de la vidéo (vidéo-conférences, streaming…) et l’augmentation de la consommation et du renouvellement d’équipements numériques semblent être principalement à l’origine de cette inflation. Aujourd’hui, quelque 10 % de l’énergie de la planète serait consommée par les besoins énergétiques du cloud et de l’infrastructure des technologies de l’information et de la communication.
Selon les données du Statec, en 2019, le Luxembourg comptait 2.655 entreprises actives dans le secteur de l’information et de la communication, avec une croissance nette de +417 entreprises (+19%) entre 2015-2019. Ce secteur représentait 6,1% de la population totale des entreprises en 2015 au Luxembourg et 6,5% en 2019 (hausse de +0,4pp)[1]. La consommation en électricité de ce secteur a augmenté de 225.879.561 kWh en 2015 à 286.979.962 kWh en 2019 (+27% entre 2015-2019), comme illustré dans le graphique ci-après.
Pour le Luxembourg, une croissance rapide de l’environnement numérique dans tous les secteurs stratégiques clés de l’économie luxembourgeoise est anticipée et sera donc susceptible d’entraîner une augmentation de l’empreinte environnementale. Dans ce contexte, il est d’ores et déjà prévu, notamment dans la feuille de route « Ons Wirtschaft vu muer » du ministère de l’Économie de prendre les mesures nécessaires pour assurer une transition digitale équitable et durable, ouvrant également de nouvelles opportunités pour l’industrie et ses secteurs de support. Les initiatives portant sur une numérisation durable et énoncées dans la feuille de route concernent notamment:
- Le soutien à des projets pilotes pour l’optimisation des consommations énergétiques des datacenter/centres de données (utilisation de la chaleur résiduelle, immersion cooling…) afin de refléter les ambitions environnementales à consommation d’énergie réduite ;
- Le soutien au développement d’outils numériques permettant d’évaluer plus précisément l’impact environnemental des infrastructures numériques ;
- Le soutien à des initiatives « lean data », qui mettent en œuvre des solutions intelligentes pour réduire les flux et le stockage de données inutiles et les impacts énergétiques qui y sont liés, ceci en conservant juste les ressources nécessaires.
L’exemple du supercalculateur luxembourgeois MeluXina montre que le numérique peut aller de pair avec la durabilité. En effet, le calculateur de haute performance MeluXina a été classé comme le troisième plus écologique de l’UE et le neuvième plus écologique du monde selon le plus récent classement « Green 500 » de l’organisation « Top 500 The List » qui publie des classements des superordinateurs. MeluXina est doté d’une efficacité énergétique exceptionnelle : le supercalculateur et ses systèmes sont refroidis par eau, ce qui supprime les coûts d’exploitation élevés des systèmes refroidis par air et, parallèlement, réduit l’empreinte énergétique. Il s’appuie en outre sur des processeurs de dernière génération pour atteindre une efficacité remarquable en termes de rapport performance/consommation d’énergie de 26,957 gigaflops par watt.
Un autre exemple parlant est celui du centre des données de LuxConnect à Bissen alimenté en énergie verte par la centrale de cogénération Kiowatt. Grâce à une joint-venture entre LuxConnect et Luxenergie, l’opérateur d’infrastructures de cogénération, le centre de données de Bissen constitue un pas important vers une politique d’approvisionnement en énergie des infrastructures digitales à empreinte carbone basse, voire nulle. Le concept énergétique intégré du site de Bissen repose sur le bois recyclé (forêts, meubles, industrie, etc.) qui alimente la centrale de cogénération de Kiowatt. Toutes les formes d’énergie produites par la cogénération, c’est-à-dire l’électricité, la chaleur et la vapeur, entrent dans le processus d’exploitation du centre de données de LuxConnect, réduisant ainsi les émissions totales de CO2 du Luxembourg d’environ 27.000 tonnes/an.
Afin d’encourager l’efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables, les entreprises du secteur du numérique, tout comme celles d’autres secteurs d’activité peuvent bénéficier des aides à la protection de l’environnement du ministère de l’Économie qui s’appliquent notamment pour des investissements en faveur de mesures d’efficacité énergétique, dans la cogénération, dans l’énergie produite à partir de sources renouvelables ou bien dans des réseaux de chaleur et de froid. Le détail des aides disponibles et leurs taux peuvent être consultés sur guichet.lu (https://guichet.public.lu/fr/entreprises/financement-aides/aides-environnement/industrie-services/aide-protec-environnement.html).
Concernant les nouvelles lois françaises entrées en vigueur au 1er janvier 2022, visant à réduire l’empreinte carbone du numérique, des mesures similaires sont en cours de négociation au niveau européen dans le cadre de la révision de la directive européenne sur l’efficacité énergétique (EED – Energy Efficiency Directive), où sont notamment prévus :
- un monitoring obligatoire avec publication des données de la performance énergétique des centres de données significatifs ;
- une analyse des coûts et bénéfices, ou un audit énergétique identifiant et évaluant l’utilisation de la chaleur fatale des centres de données (dont l’énergie consommée dépasse 1 MW) dans des réseaux de chaleur ;
- l’habilitation de la Commission européenne à adopter des actes délégués en vue d’évaluer la durabilité des centres de données.
Le Luxembourg soutient non seulement ces mesures, mais s’investit également auprès de la Commission, dans le cadre des négociations de la révision de l’EED, afin que les critères et exigences minimales définies dans le cadre de la directive reflètent un niveau d’ambition suffisant pour inciter les opérateurs des centres de données à améliorer encore leur performance énergétique ; le Luxembourg transposera, le cas échéant, ces mesures après adoption de la révision de la directive.
[1] Concernant les chiffres en relation avec la l’économie digitale, il est à noter que la digitalisation se matérialise en concept transversal, impactant l’ensemble des secteurs de l’économie. De manière plus granulaire, le STATEC établit des chiffres pour les entreprises dont l’information et la communication constituent l’activité principale (NACE 58-63).