« La Commission européenne a présenté mercredi 23 février sa proposition de loi sur la bonne gouvernance des entreprises dans le but de responsabiliser les entreprises en matière de droits humains et de respect de l’environnement.
En effet, ce projet de directive sur la gouvernance d’entreprise durable a pour objectif de contraindre les firmes à mieux prévenir les violations des droits de l’homme et les préjudices environnementaux tout au long de leur chaîne d’approvisionnement en introduisant un devoir de vigilance.
Dans ce contexte, j’aimerais poser les questions suivantes à Monsieur le Ministre de l’Économie :
- Quelles sont les entreprises luxembourgeoises concernées tout particulièrement par un devoir de vigilance ? A quelle branche appartiennent-elles ? Est-ce que ces entreprises ont d’ores et déjà fait des efforts proactifs en ce qui concerne le respect des droits humains et le respect de l’environnement tout au long de leur chaîne d’approvisionnement ?
- Quels sont les produits qui sont plus susceptibles que d’autres de ne pas respecter les critères exigés en matière de droits humains et de respect de l’environnement ?
- Le ministère a-t-il organisé des pourparlers avec les milieux économiques visés au sujet d’un droit de vigilance applicable aux entreprises luxembourgeoises ? Dans l’affirmative, quelles en sont les conclusions provisoires ?
- Sachant que la France et l’Allemagne ont légiféré en la matière, mais que leurs lois respectives diffèrent largement, le Luxembourg plaide-t-il pour une harmonisation au niveau européen concernant le droit de vigilance ?
- Quelle est la position de votre ministère relative au projet de directive présenté par la Commission européenne ?»
Äntwert
1) En amont, les entreprises concernées par le devoir de vigilance sont avant tout des entreprises important des produits bruts et des matières premières directement en provenance de pays hors de l’OCDE, dont les normes et conditions locales apparaissent plus souvent moindres. Néanmoins, lorsque ces importations transitent d’abord par un importateur établi dans l’Union européenne, avant d’être fournies aux entreprises luxembourgeoises, ce qui est souvent le cas, cet importateur aura la principale charge d’effectuer le devoir de vigilance.
Le devoir de vigilance s’applique aussi en aval, lorsque les entreprises luxembourgeoises exportent directement leurs produits vers ces mêmes pays.
Les services sont également visés, encore que l’importation de certaines matières premières et de produits transformés ou manufacturés semble devoir être privilégiée.
Le texte proposé par la Commission européenne prévoit que les petites et moyennes entreprises (PME) soient exclues (sont concernées les entreprises dont le nombre de salariés et le chiffre d’affaires dépasse 500 travailleurs et 150 millions de chiffre d’affaires, respectivement 250 travailleurs et 40 millions de chiffre d’affaires pour les secteurs à risque, désignés dans la directive). Cela limite le nombre d’entreprises luxembourgeoises qui tomberaient sous le champ d’application de la proposition de texte.
De nombreuses entreprises luxembourgeoises entreprennent d’ores et déjà des efforts proactifs en matière de devoir de vigilance. Certaines traduisent cette démarche dans le cadre du Pacte national Entreprises et Droits de l’Homme, élaboré en ligne avec le Plan d’action national du Luxembourg pour la mise en œuvre des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, en rejoignant des associations comme l’Union luxembourgeoise de l’économie sociale et solidaire (ULESS), ou encore en sollicitant le label Entreprise socialement responsable de l’INDR (Institut National pour le Développement durable et la Responsabilité sociale des entreprises), qui est une émanation de l’UEL (Union des Entreprises luxembourgeoises).
Enfin, il faut rappeler que le Ministère de l’Économie et la Direction de la coopération au développement et de l’action humanitaire du Ministère des Affaires étrangères et européennes ont été précurseurs en introduisant à partir de fin 2020 une clause de devoir de vigilance dans leurs contrats avec les entreprises partenaires, ainsi que dans les modalités d’octroi des aides aux entreprises.
2) La proposition de directive mentionne les secteurs spécifiques à risque, dont certains font d’ailleurs déjà l’objet d’un Règlement européen vertical, précisément pour cette raison (les minerais du conflit par exemple).
Les secteurs qui se sont avérés être les plus exposés et nécessitant de ce fait une approche ad-hoc, font déjà de la part de l’OCDE, qui est le précurseur en matière de devoir de diligence, l’objet d’une guidance sectorielle spécifique. Ainsi, on peut citer le secteur extractif, le secteur textile, le secteur des chaussures, le secteur de l’agriculture.
3) Un comité interministériel « devoir de diligence » a été mis en place par le Gouvernement en date du 23 avril 2021 en vue de définir les grandes orientations soit d’une future législation nationale, soit de la position du Luxembourg pour la négociation d’une future directive européenne en la matière, où l’ensemble de ces questions sont traitées.
Par ailleurs, dans le cadre de rencontres régulières avec l’UEL, le ministre de l’Économie discute de ces questions, comme par exemple à l’occasion de la présentation du guide ESR déployé par l’INDR.
4) L’harmonisation au niveau européen est la voie privilégiée, et cela a été indiqué à plusieurs reprises par le Gouvernement, notamment dans les réponses aux récentes questions parlementaires no 5502 et no 5209. La proposition de directive a, précisément, pour objectif de favoriser une telle harmonisation et elle prévoit d’ailleurs la mise en place d’un réseau de coordination européen des autorités nationales chargées de superviser la mise en œuvre du devoir de diligence.
5) La proposition de directive de la Commission européenne est une initiative couvrant l’ensemble des droits humains et l’environnement, comprenant tous les aspects de la question, tout en rappelant le principe de la nécessaire proportionnalité entre les objectifs et les moyens.
Le champ d’application vise les grandes entreprises actives dans le marché intérieur, dont celles du secteur financier, parce qu’elles sont les acteurs économiques principaux les plus à même de faire imposer les principes du devoir de diligence dans l’ensemble de la chaîne de valeur, y compris auprès des PME partenaires.
Ces obligations en matière de devoir de diligence sont assorties de mécanismes de contrôle et de sanctions, ainsi que d’un régime obligatoire de responsabilité civile et de protection des lanceurs d’alerte.
Enfin, outre les autres obligations sociales incombant déjà aux dirigeants, ces derniers auront désormais également une obligation de mettre en œuvre les principes de due diligence dans l’entreprise.